Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil (183) du 19/07/2024 sur la mise en œuvre de la Directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques dans les Etats membres de l’Union européenne et en Norvège en 2018-2022
Quels sont les points essentiels à retenir ?
Ce rapport quinquennal sur la mise en œuvre de la Directive de 2010 portant sur les années 2018-2022 repose sur l’exploitation d’un questionnaire adressé aux Etats membres (EM) par la Commission européenne, comme le précédent portant sur la période 2013-2017. Par conséquent ne sont exploitées que des informations déclaratives, non vérifiées par la Commission. A partir de l’analyse détaillée fournie en annexe, nous en tirons certains enseignements.
- Certaines notions ne sont pas assez précises dans la Directive et, par voie de conséquence, sont comprises de manière différente selon les EM.
Cette imprécision est manifeste en premier lieu pour la notion d’autorité compétente : certains EM comptent 1 ou 2 autorités compétentes au titre des autorisations et inspections des établissements, alors que d’autres en comptent plusieurs centaines, comme l’Allemagne, l’Italie et la Pologne.
Un autre exemple est fourni par la définition des utilisateurs, fournisseurs et éleveurs d’animaux. Les modes de comptabilisation varient selon les EM, ne permettant pas de comparaisons pertinentes. On aurait pu attendre de la Commission européenne des définitions précises et adoptées de manière homogène dans tous les pays.
En ce qui concerne les inspections, la Directive indique qu’« une proportion appropriée …est effectuée sans avertissement préalable » (art. 34). A tout le moins, cette expression de « proportion appropriée » est vague et d’ailleurs comprise de manière très différente par les EM puisque la proportion d’inspections « inopinées » varie entre 0 et 100% en fonction des EM.
De même, la notion de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 60) est trop floue. En France, la sanction prévue pour l’application d’une procédure sans autorisation est une contravention de 4ème classe…c’est-à-dire une amende forfaitaire de 135 euros.
Ne faudrait-il pas que la définition d’une sanction proportionnée et dissuasive soit explicitée pour que certains EM ne puissent pas réduire la portée de la Directive sur ce point ?
- Le questionnaire de l’enquête de la Commission comporte des lacunes.
Notamment, il n’aborde pas la question de la composition des autorités en charge de l’évaluation des projets qui revêt pourtant une importance capitale pour l’application rigoureuse du principe des 3R – et notamment le principe de remplacement – et une prise en compte réelle de l’intérêt des animaux par rapport à l’intérêt scientifique du projet.
On relève aussi le manque de précision des réponses relatives aux non-conformités relevées lors des inspections. Les EM font mention du domaine dans lequel la non-conformité a été constatée mais pas de sa nature. Comment la Commission européenne pourrait-elle émettre des recommandations adaptées sans avoir une vision précise des non-conformités à la réglementation dans les différents EM ?
Il est regrettable enfin de ne pas disposer du nombre de violations de la réglementation constatées dans chaque EM. Celui-ci pourrait être mis en regard du nombre total de projets. En outre, pour que l’information soit pertinente sur l’application conforme de la réglementation, il faudrait s’assurer en amont d’une évaluation homogène des manquements par les services d’inspection des différents EM et différencier les non-conformités mineures des non-conformités moyennes ou majeures.
- La Directive est appliquée par les Etats membres de manière très variable.
Les autorités compétentes chargées de l’évaluation des projets et de la délivrance des autorisations sont structurées de manière très différente en fonction des EM et par conséquent l’homogénéité du traitement des dossiers n’est pas assurée. Le rapport souligne d’ailleurs ce problème d’homogénéité dans les pays disposant de nombreuses autorités compétentes, comme c’est le cas en France.
De même, le rythme des inspections, le pourcentage d’inspections inopinées, ou encore le niveau et la rigueur dans l’application des sanctions diffèrent fortement d’un Etat à l’autre.
Le taux de visites inopinées est un indicateur important. Car plus les inspections sans avertissement préalable des établissements seront nombreuses, plus les infractions à la réglementation pourront être efficacement observées. La France, longtemps en retard par rapport aux autres EM, a amélioré ce taux en 2022.
Cette application variable et non homogène de la Directive n’est que la traduction des lacunes et des brèches de celle-ci : des définitions pas assez explicites, des dispositions trop peu contraignantes, des contrôles insuffisants.
- Certaines réponses des EM sont fausses, comme nous avons pu le constater pour la France, soulignant le défaut majeur du rapport : l’absence de toute vérification des déclarations des administrations des EM, de demande de pièces justificatives ou même de simple contrôle de cohérence des réponses.
Les réponses approximatives ou erronées sont favorisées par la formulation imprécise de nombreuses questions lesquelles, de plus, n’appellent aucune justification de la part des répondants. Par conséquent, les EM ont tout intérêt à fournir des réponses qui visent à montrer à la Commission européenne qu’ils sont de « bons élèves » et qu’ils appliquent rigoureusement toutes les dispositions de la Directive.
En ce qui concerne la France, Transcience et d’autres ONG ont pu démontrer de nombreux dysfonctionnements, irrégularités voire illégalités dans l’application de la réglementation relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Pourtant, si l’on en croit les réponses au questionnaire de la Commission européenne, la France apporterait toutes les garanties quant au respect des dispositions de la Directive relatives aux autorités compétentes et à l’évaluation des projets. La réalité est tout autre. L’administration française n’exerce pas un réel contrôle sur les comités d’éthique en expérimentation animale que ce soit en ce qui concerne leur fonctionnement (modalités de nomination des membres et de prise de décision), leur composition (proportionnalité des compétences), leurs moyens (humains, matériels, financiers), leur indépendance (vis-à-vis des établissements qui leur sont rattachés), alors même que ce sont des autorités non publiques sans personnalité juridique. Certaines dispositions propres à la réglementation nationale ne sont même pas appliquées : comités d’éthique en expérimentation animale qui devaient être agréés en 2013 et qui ne l’ont pas été avant 2022, audits annuels de ces mêmes comités non réalisés.
Par ailleurs, le fait que les décisions des comités soient prises à la majorité absolue en France (d’après la réponse faite lors de l’enquête) laisse planer le doute quant à l’impartialité des décisions quand on sait que les concepteurs de projets utilisant des animaux sont largement majoritaires au sein des comités.
Par ailleurs, en France, les comités d’éthique en expérimentation animale (seules autorités compétentes chargées de l’évaluation des projets) n’évaluent pas la justification scientifique des projets, contrairement à ce qui est déclaré par l’administration dans l’enquête de la Commission (et requis en application de l’article 38 de la Directive). Il en est sans doute de même pour d’autres EM.
- Malgré les imperfections relevées dans le rapport, celui-ci permet de constater des différences notables entre EM : il y a ceux qui font de réels efforts pour appliquer rigoureusement la Directive voire qui prennent des dispositions plus favorables à l’intérêt des animaux, et les autres.
Les différences entre EM s’observent notamment dans les questions touchant à l’application des 3R, à la diffusion des appréciations rétrospectives et au rôle des structures de bien-être animal (SBEA).
Par rapport aux autres membres de l’Union européenne, la France se situe parmi les pays qui s’investissent le moins dans la mise en œuvre des 3R et la prise en compte de l’intérêt des animaux tout au long des procédures. Les autorités chargées de l’évaluation n’incluent ni experts des méthodes alternatives non animales ni statisticiens contrairement à d’autres EM. L’avis de la SBEA n’est pas sollicité lors du processus d’évaluation du projet.
De fait, les EM se répartissent en deux catégories : une première catégorie où la SBEA a un rôle central tout au long de la vie d’un projet, de son autorisation à sa réalisation, et une seconde catégorie où la SBEA a un rôle moins bien défini et des missions moins larges. La France entre dans cette seconde catégorie.
En France, les appréciations rétrospectives restent à ce jour inaccessibles au public – le ministère chargé de la recherche ayant répondu ne pas en disposer aux associations qui lui en ont fait la demande (celles-ci seraient en possession des comités d’éthique en expérimentation animale) – alors que 16 EM ont indiqué actualiser le résumé non-technique avec les résultats des appréciations rétrospectives.
Selon les réponses à l’enquête, les pays qui, de façon systématique, adoptent les pratiques les plus exigeantes – parmi ceux utilisant plus de 200 000 animaux par an – sont les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, l’Espagne, la Norvège, la République tchèque.
Les Pays-Bas sont le seul pays réunissant tous les critères de rigueur et de qualité évoqués dans le rapport de la Commission.
Il serait cependant bienvenu que dans chacun de ces pays, les ONG s’assurent que les réponses sont conformes à la réalité.
En conclusion
- Les différents constats que nous avons fait à la suite de la lecture du rapport de la Commission européenne sont sans doute en deçà de la réalité car il est légitime de penser que les EM donnent le plus souvent les réponses attendues. Pour que le rapport puisse être considéré comme un document reflétant réellement l’application de la Directive et qu’il permette de procéder aux ajustements nécessaires, il serait indispensable que la Commission européenne exige auprès des répondants à l’enquête des documents justificatifs et/ou effectue des contrôles aléatoires « sur le terrain » afin de s’assurer de la conformité des réponses avec la réalité.
Mais la Commission européenne en a-t-elle la volonté et les moyens ?
- Force est de constater que l’enquête quinquennale portant sur l’application de la Directive est le reflet de la Directive elle-même et de ses insuffisances, comme nous l’avons relevé plus haut.
Comment une Directive imprécise et lacunaire pourrait-elle permettre une évaluation rigoureuse de sa mise en application ?
Nos observations conduisent à l’évidente nécessité d’une révision de fond de la Directive européenne de 2010 qui devait être le document support de la transition, ce qu’elle n’est pas dans sa rédaction actuelle.